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mercredi 18 février 2015

Persée et Andromède (contes et légendes de la Nation Dragon)

Persée était un dragon tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, c'est à dire insouciant, sauvage, et solitaire.
C'était en effet comme cela qu'étaient la plupart des dragons à cette époque, bien avant qu'ils ne découvrent pourquoi on les avait mis sur Terre. Et d'ailleurs, ils n'en avaient cure.
Mais les plus vieux d'entre eux commençaient à trouver le temps long, et mis à part se nourrir, se reproduire, et se castagner à l'occasion, ils s'ennuyaient ferme.
Persée faisait partie de cette catégorie.
Lassé de vivre seul, il décida de se mettre en quête d'une compagne. Il avait fort mal jugé de la difficulté de la chose, car avant d'y parvenir, il essuya un nombre incalculable de refus, et sa vie fut même sérieusement menacée à une ou deux reprises.
Au bout d'un certain temps, il finit par s'interroger sur sa manière de faire la cour. Après tout, pénétrer dans le premier antre de dragon venu et demander à la cantonade si une femelle était prête à vivre avec lui n'était peut-être pas la bonne méthode. Surtout si la réponse était oui, et que la voix qui la prononçait était grave et gutturale. Dans ces cas là, c'était lui qui s'enfuyait à tire d'ailes.
Il essaya de voir ça sous l'angle du chasseur.
La première étape consistait à choisir sa proie avec soins.
Il mit plusieurs semaines à débusquer une femelle qui lui convenait.
Elle n'était ni trop jeune, donc modérée par un certain âge et une certaine expérience, ni trop vieille, donc pas de risque d'être le jeunot de service, et de passer son temps à se faire sermonner par une vieille aigrie qui n'aurait rien d'autre à faire que le houspiller.
Il n'attaqua pas de suite, car la deuxième étape avait son importance. C'était celle qui lui confirmerait qu'il avait fait le bon choix, et qu'il pouvait ainsi continuer sa traque.
Il l'observa donc pendant plusieurs mois.
Il s'aperçut que la demoiselle avait ses habitudes. Son point d'eau était toujours le même, elle ne sortait pratiquement jamais de ses trois territoires de chasse différents.
Il remarqua également, qu'elle évitait soigneusement tout contact avec ses pairs.
Persée se dit que cela risquait de lui poser un problème, aussi commença t'il par imaginer un stratagème afin de faciliter la prise de contact, qui était l'étape trois.
Il en trouva un dont la simplicité n'avait d'égale que l'efficacité : il s'allongea devant l'entrée de la caverne qui servait d'abri à la belle, et attendit qu'elle sorte en faisant le mort.
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand cette dernière daigna montrer le bout de son nez. Comme Persée avait les yeux fermés, seuls les bruits de pas l'avertirent de son arrivée.
Ces derniers s'arrêtèrent rapidement, sans doute quand elle remarqua sa présence. Persée fut pris d'un sentiment d'impuissance, en réalisant qu'en agissant de la sorte, il se mettait totalement à sa merci. Mais, se dit-il, chaque chasse comporte son lot de risques, et il continua à rester immobile.
Au bout de presque une minute, il sentit plus qu'il n'entendit que quelqu'un était tout à côté de lui, et le sentiment qu'un regard le scrutait sous toutes les coutures lui fit l'effet d'une démangeaison sous les paupières. Il les sentit tressaillir malgré lui.
« Je peux savoir ce que vous faites ici, allongé devant chez moi ? » lui lança une voix quelque peu irritée.
Conscient que continuer à faire le mort aurait été des plus ridicule, Persée ouvrit les yeux et répondit sans se démonter :
- C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour vous approcher sans paraître menaçant.
- C'est sûr que quand je vous vois tel un paillasson devant l'entrée de ma grotte, la menace est la dernière chose qui me vient à l'esprit. Mais je me demande à quoi peut vous servir cette mascarade ?
- Hé bien, à cela, justement : vous parler !
- Très bien. Mais encore une fois : pourquoi ?
Plusieurs dizaines de réponses traversèrent l'esprit de Persée, mais la seule qu'il parvint à articuler fut :
- Pour que vous deveniez ma compagne.
Le dragon s'apprêtait à se faire rabrouer une fois de plus, mais la réaction de son interlocutrice le surprit : elle éclata de rire.
- Vraiment ? lui dit-elle, le sourire toujours aux lèvres. Et qu'est ce qui vous fait penser que j'en suis digne ?
- Tout simplement le fait que je pense l'être de vous.
Sa réponse sembla la désarçonner quelque peu car elle hésita avant de répondre.
- Très bien alors. Votre réponse me laisse penser que vous m'avez observée. Laissez-moi faire de même en retour, et ensuite je déciderai ce qu'il en est. Et avant que vous ne me posiez la question : mon nom est Andromède.
- Et le mien Persée.
C'est ainsi que les deux dragons commencèrent leur histoire.
Malheureusement, elle n'est pas de celles qui se terminent bien.
Un jour, alors que Persée venait retrouver Andromède, il s'étonna de ne pas la voir l'attendre à l'extérieur de la grotte, comme à son habitude.
Inquiet, il se posa et pénétra à l'intérieur de cette dernière en appelant Andromède. Il entendit un long râle venir du fin fond de l'obscurité.
A présent totalement alarmé, il se précipita et son sang se glaça d'effroi quand il vit le corps mutilé de sa douce compagne.
Persée se jeta à côté d'elle et tenta d'empêcher le dernier souffle de vie de quitter le corps meurtri.
Mais, dans ce dernier instant où l'on sait qu'une page se tourne, et que le bonheur vient de claquer la porte, Andromède le regarda droit dans les yeux.
- Mon amour, murmura-t-elle, haletante, ne restant consciente que par la grâce de sa volonté, tu ne peux lutter contre l'inéluctable. J'ai toujours su que je mourrais de la main d'un dragon, et c'est la raison pour laquelle je les fuyais. Mais je sais maintenant que l'éternité aurait été bien morne sans toi, et qu'il vaut mieux partir en ayant vécu ce que nous avons partagé, que de rester seule jusqu'à la fin des temps. Je te plains, mon tendre amour, d'affronter ce destin de solitude. Ne m'en veux pas de te laisser, car je sais que le moment viendra où nous serons réunis dans les cieux, et que notre passion éclairera les nuits de ceux qui nous contempleront. Pourtant je t'en prie, avant de me rejoindre, fais en sorte que ce drame ne se produise plus, et qu'aucun amour ne soit plus jamais déchiré.
Ce fut tout.
Elle rendit son dernier soupir avec la légèreté d'une plume touchant le sol.
Fou de douleur et de chagrin, Persée s'enfuit, ne sachant que faire, ni ce qu'il allait devenir, mais avec les dernières paroles d'Andromède qui résonnaient encore dans son esprit.
Au début, il chercha la vengeance, et finit par la trouver. Mais aucun réconfort ne devait venir de cette dernière. C'est alors que les mots de sa défunte compagne refirent surface, et que Persée sut ce qu'il avait à faire.
Il s'y attela aussitôt et du mieux qu'il put.

Bien des années plus tard, à l'endroit précis où se tenait la grotte d'Andromède se dressait maintenant une ville.
Une ville dans laquelle aucune ruelle n'était assez étroite pour dissimuler la peur, où aucune ombre n'était suffisamment épaisse pour cacher la mort.
C'était une ville de droits et de devoirs, où chacun avait sa place, et ceux qui ne la trouvaient pas étaient ceux qui n'en voulaient pas. Ces derniers justifiaient la raison d'être des tribunaux qui, sans passion, arrachaient le chiendent et triaient le bon grain de l'ivraie.
Cette ville portait le nom de la compagne de celui qui l'avait fondée : Andromède.

On dit que lorsque ce fut fait, Persée se retira dans son ancienne grotte en déclarant :
« J'ai accompli ce pourquoi j'ai été envoyé ici, et il appartient à d'autres de poursuivre mon œuvre. Je peux désormais mourir en paix, et retrouver mon amour qui m'attend, là-haut dans le firmament. »

Depuis ce jour là, chaque dragon cherche son but sous le regard bienveillant de Persée et d'Andromède, qui sont dans les cieux réunis pour l'éternité.

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