Persée était un dragon tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, c'est à dire insouciant, sauvage, et solitaire.
C'était
en effet comme cela qu'étaient la plupart des dragons à cette époque,
bien avant qu'ils ne découvrent pourquoi on les avait mis sur Terre. Et d'ailleurs, ils n'en avaient cure.
Mais les plus vieux d'entre eux
commençaient à trouver le temps long, et mis à part se nourrir, se
reproduire, et se castagner à l'occasion, ils s'ennuyaient ferme.
Persée faisait partie de cette catégorie.
Lassé
de vivre seul, il décida de se mettre en quête d'une compagne. Il avait
fort mal jugé de la difficulté de la chose, car avant d'y parvenir, il
essuya un nombre incalculable de refus, et sa vie fut même sérieusement
menacée à une ou deux reprises.
Au bout d'un certain temps, il
finit par s'interroger sur sa manière de faire la cour. Après tout,
pénétrer dans le premier antre de dragon venu et demander à la cantonade
si une femelle était prête à vivre avec lui n'était peut-être pas la
bonne méthode. Surtout si la réponse était oui, et que la voix qui la
prononçait était grave et gutturale. Dans ces cas là, c'était lui qui
s'enfuyait à tire d'ailes.
Il essaya de voir ça sous l'angle du chasseur.
La première étape consistait à choisir sa proie avec soins.
Il mit plusieurs semaines à débusquer une femelle qui lui convenait.
Elle
n'était ni trop jeune, donc modérée par un certain âge et une certaine
expérience, ni trop vieille, donc pas de risque d'être le jeunot de
service, et de passer son temps à se faire sermonner par une vieille
aigrie qui n'aurait rien d'autre à faire que le houspiller.
Il
n'attaqua pas de suite, car la deuxième étape avait son importance.
C'était celle qui lui confirmerait qu'il avait fait le bon choix, et
qu'il pouvait ainsi continuer sa traque.
Il l'observa donc pendant plusieurs mois.
Il
s'aperçut que la demoiselle avait ses habitudes. Son point d'eau était
toujours le même, elle ne sortait pratiquement jamais de ses trois
territoires de chasse différents.
Il remarqua également, qu'elle évitait soigneusement tout contact avec ses pairs.
Persée
se dit que cela risquait de lui poser un problème, aussi commença t'il
par imaginer un stratagème afin de faciliter la prise de contact, qui
était l'étape trois.
Il en trouva un dont la simplicité n'avait
d'égale que l'efficacité : il s'allongea devant l'entrée de la caverne
qui servait d'abri à la belle, et attendit qu'elle sorte en faisant le
mort.
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand cette dernière
daigna montrer le bout de son nez. Comme Persée avait les yeux fermés,
seuls les bruits de pas l'avertirent de son arrivée.
Ces derniers
s'arrêtèrent rapidement, sans doute quand elle remarqua sa présence.
Persée fut pris d'un sentiment d'impuissance, en réalisant qu'en
agissant de la sorte, il se mettait totalement à sa merci. Mais, se
dit-il, chaque chasse comporte son lot de risques, et il continua à
rester immobile.
Au bout de presque une minute, il sentit plus
qu'il n'entendit que quelqu'un était tout à côté de lui, et le sentiment
qu'un regard le scrutait sous toutes les coutures lui fit l'effet d'une
démangeaison sous les paupières. Il les sentit tressaillir malgré lui.
« Je peux savoir ce que vous faites ici, allongé devant chez moi ? » lui lança une voix quelque peu irritée.
Conscient que continuer à faire le mort aurait été des plus ridicule, Persée ouvrit les yeux et répondit sans se démonter :
- C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour vous approcher sans paraître menaçant.
-
C'est sûr que quand je vous vois tel un paillasson devant l'entrée de
ma grotte, la menace est la dernière chose qui me vient à l'esprit. Mais
je me demande à quoi peut vous servir cette mascarade ?
- Hé bien, à cela, justement : vous parler !
- Très bien. Mais encore une fois : pourquoi ?
Plusieurs dizaines de réponses traversèrent l'esprit de Persée, mais la seule qu'il parvint à articuler fut :
- Pour que vous deveniez ma compagne.
Le
dragon s'apprêtait à se faire rabrouer une fois de plus, mais la
réaction de son interlocutrice le surprit : elle éclata de rire.
- Vraiment ? lui dit-elle, le sourire toujours aux lèvres. Et qu'est ce qui vous fait penser que j'en suis digne ?
- Tout simplement le fait que je pense l'être de vous.
Sa réponse sembla la désarçonner quelque peu car elle hésita avant de répondre.
-
Très bien alors. Votre réponse me laisse penser que vous m'avez
observée. Laissez-moi faire de même en retour, et ensuite je déciderai
ce qu'il en est. Et avant que vous ne me posiez la question : mon nom
est Andromède.
- Et le mien Persée.
C'est ainsi que les deux dragons commencèrent leur histoire.
Malheureusement, elle n'est pas de celles qui se terminent bien.
Un
jour, alors que Persée venait retrouver Andromède, il s'étonna de ne
pas la voir l'attendre à l'extérieur de la grotte, comme à son habitude.
Inquiet,
il se posa et pénétra à l'intérieur de cette dernière en appelant
Andromède. Il entendit un long râle venir du fin fond de l'obscurité.
A présent totalement alarmé, il se précipita et son sang se glaça d'effroi quand il vit le corps mutilé de sa douce compagne.
Persée se jeta à côté d'elle et tenta d'empêcher le dernier souffle de vie de quitter le corps meurtri.
Mais,
dans ce dernier instant où l'on sait qu'une page se tourne, et que le
bonheur vient de claquer la porte, Andromède le regarda droit dans les
yeux.
- Mon amour, murmura-t-elle, haletante, ne restant
consciente que par la grâce de sa volonté, tu ne peux lutter contre
l'inéluctable. J'ai toujours su que je mourrais de la main d'un dragon,
et c'est la raison pour laquelle je les fuyais. Mais je sais maintenant
que l'éternité aurait été bien morne sans toi, et qu'il vaut mieux
partir en ayant vécu ce que nous avons partagé, que de rester seule
jusqu'à la fin des temps. Je te plains, mon tendre amour, d'affronter ce
destin de solitude. Ne m'en veux pas de te laisser, car je sais que le
moment viendra où nous serons réunis dans les cieux, et que notre
passion éclairera les nuits de ceux qui nous contempleront. Pourtant je
t'en prie, avant de me rejoindre, fais en sorte que ce drame ne se
produise plus, et qu'aucun amour ne soit plus jamais déchiré.
Ce fut tout.
Elle rendit son dernier soupir avec la légèreté d'une plume touchant le sol.
Fou
de douleur et de chagrin, Persée s'enfuit, ne sachant que faire, ni ce
qu'il allait devenir, mais avec les dernières paroles d'Andromède qui
résonnaient encore dans son esprit.
Au début, il chercha la
vengeance, et finit par la trouver. Mais aucun réconfort ne devait venir
de cette dernière. C'est alors que les mots de sa défunte compagne
refirent surface, et que Persée sut ce qu'il avait à faire.
Il s'y attela aussitôt et du mieux qu'il put.
Bien des années plus tard, à l'endroit précis où se tenait la grotte d'Andromède se dressait maintenant une ville.
Une
ville dans laquelle aucune ruelle n'était assez étroite pour dissimuler
la peur, où aucune ombre n'était suffisamment épaisse pour cacher la
mort.
C'était une ville de droits et de devoirs, où chacun avait
sa place, et ceux qui ne la trouvaient pas étaient ceux qui n'en
voulaient pas. Ces derniers justifiaient la raison d'être des tribunaux
qui, sans passion, arrachaient le chiendent et triaient le bon grain de
l'ivraie.
Cette ville portait le nom de la compagne de celui qui l'avait fondée : Andromède.
On dit que lorsque ce fut fait, Persée se retira dans son ancienne grotte en déclarant :
« J'ai
accompli ce pourquoi j'ai été envoyé ici, et il appartient à d'autres
de poursuivre mon œuvre. Je peux désormais mourir en paix, et retrouver
mon amour qui m'attend, là-haut dans le firmament. »
Depuis
ce jour là, chaque dragon cherche son but sous le regard bienveillant
de Persée et d'Andromède, qui sont dans les cieux réunis pour
l'éternité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire